Je l’ai rencontré par hasard, un matin, en
marchant vers le bureau. Il m’a suivi.
Nous avons jasé. Tout comme moi, il est
retraité, lui de l’armée et moi, de l’éducation. Il était caporal, puis lieutenant
ou capitaine. Il a oublié. Le plus
important, c’était son travail de comptable. Il était le comptable des militaires. Ça, il n’a pas oublié.
Je ne l’ai pas revu pendant deux semaines.
Puis, ce matin, en allant acheter les croissants du samedi à la
boulangerie-pâtisserie, il était là, devant une boutique, achetant les denrées
matinales. Nous nous sommes reconnus. Après avoir sympathisé un peu, il m’a lancé:
- Viens visiter ma villa. C’est la deuxième par là, tout près...”, en montrant du doigt la rue voisine.
Sans hésiter, je l’ai suivi devant les
regards étonnés et curieux des autres clients. En marchant, il me raconte...
- Tu sais, quand je suis arrivé
ici, le gouvernement m’a offert ce coin de terre pour un très bon prix. J’ai
presque refusé parce qu’il n’y avait aucune autre maison dans ce quartier. Cette maison est la première du quartier. Ils
m’ont dit qu’un jour, il y aurait beaucoup de maisons.
Ils avaient bien raison! Aujourd’hui, c’est
un grand quartier très habité et surtout très recheché.
J’ai donc visité, ce matin, la plus vieille
maison du Plateau, construite dans les
années 70. Le quartier “le Plateau” de
Niamey est, il ne faut pas comparer, un peu le pendant du Plateau Mont-Royal de
Montréal. L’activité culturelle est omni présente et le quartier a une
excellente réputation. Les boutiques d’artisanat, de meubles, les
boulangerie-pâtisseries, on y trouve de tout! Et on s’y sent bien.
Sa maison est encore jolie, un peu
vieillotte bien sûr, entourée d’un mur comme toutes les maisons d'ici, et sur la
devanture, une immense galerie de larges tuiles blanches qui, j’en suis presque
certaine, sert de chambre à coucher pour la nuit.
- Vous avez combien d’enfants?
Il répond sans hésiter:
- Beaucoup! en faisant un geste
de la main qui fouette l’air frais de cette matinée de mai.
Puis, il ajoute ne plus savoir les compter.
- Il y en a qui sont mariés et qui sont partis, d’autres qui ont déjà 35 ans et pas encore
mariés (ce qui semble l’inquiéter un peu...)
et plein de petits enfants qui courent tout autour. "Beaucoup!" répète-t-il.
Puis, il me parle des canadiens qui ont
travaillé à la construction de la route de l'amitié. Il a connu Raynald Cloutier, le comptable des
canadiens, qui est encore aujourd'hui, un véritable ami du Niger. Le monde est vraiment
petit... de plus en plus petit... Il se rappelle acheter des denrées au magasin
des canadiens, surtout pour faire les fêtes, les cérémonies. Il
achetait même un peu d'alcool, la fin de semaine.
- Mais, vous n’êtes pas
musulmans?
- Pas la fin de semaine quand le
travail est terminé... me glisse-t-il un sourire en coin bien accroché au visage.
Ses yeux, radieux, trahissent des souvenances amusantes, d'un autre temps...
Avant de le quitter, je lui demande la permission de le prendre en photo. "Je la mettrai sur l'Internet." D’emblée, il accepte puis, s’arrête, pour réfléchir.
- Attends une minute! Pour la photo, je porterai mon costume
militaire. Je reviens tout de suite.
Il est disparu et il est revenu, un trésor ancien et usé entre les mains. Il a enlevé ses vêtements devant
moi, sans scrupules, et a revêtu, pour l’occasion, le haut de son costume
militaire.
- Photographie le haut seulement,
me précise-t-il.
J’avais compris.
Fier et droit, Marouima se donna un air de
lieutenant, juste pour l’occasion.
Louise
Louise
Marouima, le comptable des militaires |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire